« Slow couture » est un terme que l’on voit apparaître ici ou là dans la blogosphère, mais le concept reste assez mystérieux. Pour certain(e)s, il s’agit littéralement de coudre lentement : passer une heure à faire un ourlet au lieu de 5 minutes pour le plaisir de savourer chaque point.
Je trouve cette définition un peu limitante. Je préfère l’idée de la « slow couture » calquée sur la « slow fashion » : un mouvement né en opposition à la « fast-fashion » et à ses conséquences catastrophiques. Slow couture et slow fashion relèvent ainsi de la même intention : consommer moins pour consommer mieux. Mieux, c’est-à-dire de meilleure qualité, plus en accord avec notre propre style, mais aussi dans un souci d’éthique et de durabilité.
Y-a-t-il une « fast couture » ?
On entend évidemment beaucoup parler de fast fashion mais peut-on parler de « fast couture » ? La couture s’inscrit elle-même comme une alternative à la fast fashion et à ses dérives. Au lieu d’acheter des vêtements fabriqués à bas coût dans des conditions déplorables, nous cousons nos propres vêtements, en choisissant les tissus et patrons qui nous plaisent. Exit les Zara et autres H&M, nous avons donc la conscience tranquille !
L’idée est belle, mais la réalité est différente…
Instagram ou le fruit de la tentation
Insta est terrible pour les passionnées de couture : c’est une source de tentation infinie et complètement addictive. On y voit défiler toutes les dernières nouveautés et tendances en terme de patrons et et tissus. Tout cela merveilleusement mis en valeur par des couturières hors pair qui rivalisent de talent et de créativité.
Impossible de résister : il nous faut ABSOLUMENT ce tissu à pois. Oh et vous avez vu cette viscose à fleurs ? Et ce combi-short, il est canon ! Ah et ce tissu vert, c’est pas commun mais c’est vraiment joli.
Résultat : on finit par acheter le patron du combi-short alors qu’on n’en porte jamais et un tissu vert qui ne nous va pas du tout au teint mais qui rendait vraiment très bien sur la blogueuse.
Le mythe de Sisyphe de la couturière : la pile de tissus
La couture addict est bien souvent aussi tissu addict : un joli motif, une belle matière, et c’est le coup de cœur ! Le dit-tissu vert, repéré sur Insta, se retrouve donc au milieu de dizaines d’autres tissus empilés sur des étagères. Avec la ferme intention – un jour quand on aura le temps – de les transformer en vêtements qui alimenteront notre garde-robe handmade.
Mais pour ça, il nous faut des patrons. Ça tombe bien, parce qu’on a justement acheté le patron du combi-short repéré sur Insta. Le bon sens voudrait que l’on pioche alors dans notre fameux stock de tissus pour coudre le combi-short. Oui, ça ce serait logique. Mais en fait non ! Il se passe un truc un peu fou à ce moment là : sur notre fil d’actu Insta apparaît, comme par enchantement, LE tissu qu’il nous faut, celui qui sera juste parfait pour notre combi-short. Le tissu vert restera donc sur notre étagère…
Fast couture et fast fashion
La couture addict est finalement le pendant de la fashionista. Nous – parce que je m’inclus dedans – achetons bien souvent de manière compulsive des tissus sans en avoir réellement besoin (idem pour les patrons d’ailleurs), et sans nous interroger sur les conditions dans lesquelles ils ont été fabriqués. Et je ne parle pas de l’impact environnemental de ces tissus tout au long de leur cycle de vie. Or, ces problématiques sont en réalité celles qui nous ont amené à dénoncer l’industrie de la mode.
Heureusement, depuis quelque temps, le monde de la couture prend conscience de ces enjeux et l’idée d’une « slow couture », durable et éco-responsable fait peu à peu son chemin.
La slow couture, c’est quoi ?
Moins de plus, plus de mieux !
Il y a quelques années, lorsque j’étais jeune ingénieure, j’ai reçu une carte de vœux de la part d’un client. Au dos de la carte, mon client avait écrit : « Pour cette année, je vous souhaite moins de plus, et plus de mieux ! ». Bon, j’ai dû mouliner cette phrase dans ma tête quelques minutes avant de la comprendre. Mais le message était finalement très simple : privilégier la qualité plutôt que la quantité.
Ce crédo, c’est celui de la célèbre styliste britannique Vivienne Westwood :
Buy less. Choose well. Make it last. Quality, not quantity
Wearability project
Pour choisir mieux, il faut prendre son temps. Sortir de cette « urgence » qui nous est dictée par les marques et par les réseaux sociaux. Prendre du recul pour mieux cerner nos envies et nos besoins.
C’est toute la démarche du Wearability Project mis en place par Éléonore, la créatrice de Deer & Doe. Ce « projet portabilité » découle d’un constat simple : plus de la moitié des vêtements qu’elle a cousu restent dans son placard, pour diverses raisons :
- ils ne correspondent pas à sa morphologie,
- la coupe est inconfortable ou pas adaptée à son quotidien,
- les couleurs sont mal assorties ou ne lui ressemblent pas,
- les finitions ont été réalisées à la va-vite et se défont au fil du temps.
Résultat : un placard qui déborde mais le sentiment de n’avoir rien à se mettre ! L’idée est donc de concevoir une garde-robe réfléchie et durable avec des pièces qui nous correspondent vraiment, qui sont faciles à porter et qui peuvent aisément se combiner entre elles.


La démarche consiste donc à :
1) Faire le tri dans notre garde-robe en mettant de côté les vêtements que l’on ne porte pas (pour les raisons que l’on vient de citer).
On peut évidemment les donner. Ou bien leur donner une seconde vie en les transformant en d’autres vêtements, par exemple pour un bébé ou un enfant. C’est une idée que j’avais déjà abordée dans cet article : Offrez une seconde vie à vos habits dans la garde-robe des petits.
2) Analyser nos tenues préférées pour comprendre pourquoi elles nous plaisent : couleur, matière, coupe. C’est le point de départ pour définir notre propre style vestimentaire.
3) Imaginer de nouvelles tenues en s’appuyant sur l’analyse précédente, sélectionner (ou créer) les patrons correspondant et planifier leur réalisation.
C’est à cette étape qu’Instagram peut être un précieux allié ! En allant voir ce que donnent les patrons une fois cousus et en piochant des inspirations chez les instagrammeuses qui correspondent à notre style (et pas les autres – ou alors juste pour rêver). Evidemment je vous recommande aussi les articles de LOUISE Mag, notamment ceux qui présentent tous les patrons correspondant à un type de vêtement (short, maxi-dress, marinière, etc.) pour vous aider à y voir clair dans l’offre de patrons indépendants et faire votre choix.
4) Coudre les vêtements : C’est notre étape préférée ! C’est là qu’intervient l’autre vision de la slow couture que j’avais évoquée : celle de prendre son temps en cousant. Ne pas zapper certaines tâches qui nous ennuient (comme le repassage…), prendre son temps pour les étapes techniques, s’appliquer pour réaliser de jolies finitions, etc.
5) Faire un bilan à chaque saison de ce que l’on a vraiment porté, des patrons qui correspondent bien à notre morphologie et à notre style.
Slow couture et couture éco-responsable
La slow-couture ne se limite pas à une couture « portable ». C’est aussi une couture éco-responsable.
L’industrie textile est l’une des plus polluantes au monde et est la source d’un désastre écologique. Un quart de tous les pesticides utilisés dans le monde est dédié à la culture du coton. C’est absolument énorme ! L’entretien de nos vêtements synthétiques en machine, lui, relâche environ 500 000 tonnes de micro-particules dans les océans chaque année.
Nous devons, à notre petite échelle, nous interroger sur les tissus que nous utilisons : quelle est leur composition ? où ont-ils été fabriqués ? dans quelles conditions ? quelle est leur incidence écologique ?
Vous aller me dire qu’en dehors de la composition qui est toujours affichée, les autres informations ne sont pas données par les marques ou revendeurs de tissus. C’est vrai. Mais je peux déjà vous citer deux contre-exemples :
- Fil-Etik : Aurélie fait un travail remarquable en retraçant l’ensemble du parcours des tissus vendus sur son site, depuis la fibre jusqu’au produit fini, en passant par toutes les étapes de fabrication (filage, tissage, apprêt). Les tissus Fil-Etik bénéficient par ailleurs du label GOTS (Global Organic Textile Standard).
- Amandine Cha (les Trouvailles d’Amandine) : Amandine conçoit et commercialise des tissus biologiques certifiés GOTS fabriqués en France . Alors attention, ça ne veut pas dire qu’elle a une plantation de coton à côté de chez elle. La fibre de coton bio qu’elle utilise vient de Turquie ou d’Inde. Le filage est réalisé en Italie et les étapes suivantes d’ourdissage, de tissage et de teinture sont réalisées en France. Ce qui est déjà une belle performance !
On voit bien à travers les exemples d’Aurélie et d’Amandine, à quel point la problématique de traçabilité d’un tissu est complexe. Mais, comme je le disais tout à l’heure, il existe toujours a minima l’information de la composition du tissu. Certes, la fibre ne permet pas de retracer toute la chaîne de production mais elle apporte déjà des éléments de réponse. Je suis en train de préparer un article assez détaillé sur ce sujet pour le partager avec vous. Mais je peux d’ores et déjà vous donner quelques-unes de mes conclusions :
- les fibres naturelles : le coton est un grand consommateur d’eau et de pesticides. Il est donc préférable de jeter son dévolu sur du coton bio (moins gourmand en eau et surtout exempt de pesticides), ou d’autres fibres naturelles comme le lin par exemple. Si vous cherchez de bonnes adresses, je vous invite à lire cet article : Où trouver du tissu biologique ? 12 marques chic et éthiques
- les fibres artificielles : la viscose, qui est la fibre artificielle la plus répandue, a un procédé de fabrication très polluant et entraîne une déforestation massive. Mais comme je l’explique dans l’article sur la Viscose et ses cousin(e)s, des tissus comme le Tencel (issu du procédé Lyocell, beaucoup plus écologique) peuvent parfaitement la remplacer !
- fibres synthétiques : le polyester, massivement utilisé dans l’industrie de la mode, est extrêmement polluant, et ce tout au long de son cycle de vie. A éviter donc…
Soyons créatives !
Voyons la slow couture comme une source de créativité et l’opportunité :
- de jouer les apprentis stylistes : en concevant notre garde-robe comme une collection de prêt-à-porter, avec des couleurs et des motifs qui se répondent, des pièces qui se combinent entre elles,
- d’explorer de nouvelles matières, plus respectueuses de notre planète,
- de réinventer notre façon de créer des vêtements, comme par exemple cette marque MILAN AV-JC qui conçoit des patrons « zero waste ».
Et vous, comment voyez-vous la slow couture et qu’en pensez-vous ? J’ai hâte de connaître voter avis sur cet article et de votre vision d’une couture durable et responsable.
14 commentaires
Hello !
Je me permets juste une petite remarque au sujet de la proviscose : la proviscose est composée à 30% de Tencel et 70% de viscose donc c’est toujours moins polluant que la viscose mais ça reste très polluant. Pour moi, et c’est un avis très personnel, proviscose rime avec greenwashing.
Les merceries bio fleurissent et c’est tant mieux ! Fil Etik et Amandine Cha sont des valeurs sûres mais il y a aussi en France, Hysope Tissus, Mars-elle Fabrics et Cousu bio !
Entièrement d’accord avec toi ! D’ailleurs j’ai fait une petite correction dans l’article suite à ta remarque :-). J’ai rédigé cet article avant celui sur la viscose et ses cousin(e)s, et je ne maîtrisais pas encore bien la composition et l’impact de la Proviscose. Mea Culpa…
Pour les merceries, c’est pareil, c’est l’un des premiers articles que j’ai rédigés sur Louise Mag, il mériterait d’être complété et mis à jour avec les marques bio qui ont vu le jour récemment. Mars-Elle a quand même eu droit à un article à elle toute seule même si elle n’est pas citée ici 🙂
En tous cas merci pour toutes ces précisions Aurélie !
Super article ! Belle découverte !
Je culpabilise énormément au moment d’acheter un vêtement chez Zara ou Mango… Je suis à la recherche de solutions que ce soit au niveau de la cosmétique, de la nourriture, des vêtements,… Peu à peu, on arrive à trouver un équilibre responsable.
Cet article m’a donné envie de me mettre à la couture…que dis-je, Slow couture !
Je vais de ce pas partir à la recherche d’une bonne machine à coudre 🙂
Merci et bonne continuation !
Au tout début de ma démarche couture, je dois avouer être assez surprise de l’étendue des tissus à portée de main.. Et c’est vrai que même si on est tenté de faire toute la garde robe de la famille avec des tissus de folie, il faut rester raisonné et favoriser le « celui-la je le porte et je le décline dans des matières responsables »…
C’est pas si facile finalement ^^
Non, ce n’est pas si facile ! et on a le droit de ne pas être exemplaire ou parfaite sur le sujet 🙂 Pour moi, le fait de s’informer est un premier pas important vers la slow couture. ça peut freiner justement certains achats impulsifs…
Merci pour cet article intéressant. Je déplore d’ailleurs le manque de traçabilité des tissus vendus en magasin…
Pour ma part, je pratique la « slow couture » en remaniant des vêtements anciens ou chinés dans ce but (on peut trouver des pépites en friperies). En fait, je prends plus de plaisir à recréer un vêtement existant qu’à travailler du tissu neuf.
Bonne continuation !
Oui la traçabilité des tissus reste souvent un grand mystère… En tous cas, merci et bravo pour ta vision de la slow couture !
Article très intéressant qui m’interpelle car la traçabilité des tissus, dans la plupart des magasins dédiés, restent le plus souvent un mystère.
Ma façon de pratiquer la slow Couture consiste à remanier des vêtements existants ou chinés (exemple : un top dans une chemise homme, un enfant jupe midi dans une robe large… Etc.)
Bonne continuation !
Merci pour cet article très intéressant et ces bonnes adresses tissus. J’ai beaucoup cousu après une pause bébé et je me rends compte que j’ai beaucoup été tenter suite à mes nombreuses visites sur Instagram effectivement. Maintenant, enfin depuis peu, j’essaie de me raisonner et d’utiliser tous mes tissus avant d’en racheter d’autres. J’ai déjà annulé deux commandes. Fière. Lol. Il faudrait aussi se désabonner des newsletters des merceries pour éviter les tentations 😉
Bravo d’avoir résisté 😉 !! Et effectivement pourquoi pas se désabonner de certains comptes Insta ou de certaines newsletters (pas celle de Louise Mag hein !) pour éviter trop de tentation…
Comme ça me parle ! Moi qui essaye encore et toujours de rationaliser mes coutures, d’éponger mes achats irraisonnés du début. J’avoue que je me lasse un peu de voir les blogueuses / instagrammeuses présenter leur énième blouse en viscose machin, alors qu’il en sort treize à la douzaine !
Attention, elles font bien ce qu’elles veulent, mais moi, ça me parle de moins en moins. Je crois que je suis une slow couture qui s’ignore (et craque aussi parfois pour un tissu vert qui n’ira avec rien ^^)
100% d’accord avec toi Elise, merci pour ton commentaire !
Ton article est très intéressant et il m’a interpellée car je ne suis pas une couturière (je sais à peine coudre un bouton) mais je prône également une mode durable, si possible éthique et surtout l’idée de se constituer un dressing idéal pour se réconcilier avec ses vêtements.
Je pensais un peu naïvement que la couture était le meilleur moyen d’aborder la slow fashion mais je me rends compte que même en cousant soi-même ses vêtements on est confrontée aux mêmes problématiques et que les tentations et l’envie de consommer sont quand même là ! Tout nous pousse à la consommation, que ce soit les réseaux sociaux, les magazines féminins ou les boutiques qui ont pignon sur rue. C’est très difficile de maintenir sa ligne de conduite quand on a décidé de ralentir ! Malgré les dérives, je trouve que cela nous ouvre l’esprit, nous aide à rester créatif et à inventer de nouveaux modèles…
Personne n’est parfait et avoir conscience que chacun de ses actes a des conséquences est déjà un très grand pas !
Merci Anne pour ton commentaire. Je pense aussi que la couture est un bon moyen d’aborder la slow fashion, mais comme dans la mode, il existe beaucoup de tentation et on peut vite se laisser déborder ! Tu as entièrement raison, personne n’est parfait (surtout pas moi !), mais on peut prendre du recul et essayer de s’améliorer petit à petit. Prendre conscience de ses erreurs, c’est déjà un grand pas 😉